Appellation

Le terme « avant-deux » a son origine dans le fait qu’au départ de la danse, sur deux couples en vis-à-vis, seuls deux danseurs (un cavalier et la cavalière qui lui fait face) démarrent la danse. Alors le musicien annonce « en avant-deux ». Le terme « de travers » a été ajouté en zone frontalière pour le distinguer de l’avant-deux « de long ». L’ Avant-deux à la mode de Saint-Herblon appartient au groupe dit « de travers » car les danseurs progressent sur le côté et il n’y a pas de changement de front comme dans les avant-deux dit « de long ». On lui a adjoint le nom de la commune de Saint-Herblon car il a été collecté au village de la Salmonière en 1964.

Avant 1914, les anciens de la région de Varades, Saint-Herblon, Belligné, dansaient encore l’avant-deux « de long » (avec figures de « traversez »), qu’on retrouve d’ailleurs au nord de la zone dans le Pays de la Mée (Châteaubriant). La façon de danser « de travers » (sans figure de « traversez » et au tempo plus rapide) ayant gagné peu à peu cette zone - en venant de l’ouest - les termes « de long » et « de travers » ont été utilisés à la frontière pour différencier les deux façons de danser. Ces deux façons ont probablement coexisté à une certaine époque, les plus anciens ne changeant pas leur façon de danser (de long). L’ avant-deux de la région d’ Ancenis est, comme les autres avant-deux de travers de la région, une danse isolée, c’est à dire hors quadrille. C’était la danse la plus pratiquée, elle occupait la majeure partie d’un bal de noces, les autres danses n’étant jouées qu’une fois. La façon de danser recueillie à Saint-Herblon était sensiblement la même qu’à Varades, la Rouxière, ainsi qu’à Teillé, Mésanger, Couffé, Oudon, comme en témoigne Eugène Gasnier de la Salmonière en Saint- Herblon, accordéoniste semi-professionnel né en 1905. Il anima un nombre considérable de noces entre 1922 et la fin des années 1930. Musicien réputé, il s’est souvent déplacé dans toute la zone citée ci-dessus. Son répertoire ne variait pas pour toute cette zone et, selon ses dires, la façon de danser était la même partout. Il compare d’ailleurs cette façon aux avant-deux du Pays de la Mée qu’il jugeait « trop mous », (Eugène Gasnier a un jeu d’accordéon très enlevé) et dont il n’aimait pas le « sauté » des filles au « Valsez ». Deux autres façons de danser l’avant-deux de travers ont été recueillies :
- À l’est I’avant-deux dit « des Touches » collecté par Jean Renaud,
- Au nord l’avant-deux dit « de la Meilleraye » collecté par le Docteur Tricoire (il s’agit ici de la pénétration de l’ avant-deux de travers en Pays de la Mée - cf. carte).
Mais ces trois formes d’avant-deux de travers sont très proches les unes des autres : nombre de temps, agencement des figures, tempo, airs musicaux identiques... Et on peut dire sommairement que l’ avant-deux de travers couvrait toute une zone située entre l’Erdre et la Loire. Dans quelques communes au nord de l’Erdre, on a pratiqué un avant-deux de travers (avec changement de front), aux Auvernés et à la Meilleraye, par contre cette forme de danse n’a jamais franchi la Loire au sud.
- Au sud de la Loire (Anjou) : « Ce sont d’autres terroirs. Tous les anciens sonneurs de la région d’Ancenis précisent qu’ils n’allaient jamais faire danser au sud de la Loire et qu’ils ignorent totalement ce qui s’y danse ». J. Tricoire.

Fêtes de famille : principalement les noces.
Fins de travaux : battages, fouleries de places, tireries de fumier, boudins (tueries de cochons).
Fêtes de village : veillées (l’hiver), fêtes locales.
Rassemblements divers : foires, quêtes de conscrits, quête du bouquet, etc.
Pour les occasions courantes, on dansait souvent sans musicien. Les airs étaient gavottés.

Il s'agit d'un avant-deux "de travers". Il est issu selon toute apparence d’un enchaînement type appelé « été », élément d’une contre-danse implantée en Bretagne dans la deuxième moitié du XIXe siècle. (cf. J.M. Guilcher : La contre-danse française). La caractéristique des contre-danses, à l’origine « Country Dances » anglaises reprises par les cours d’Angleterre puis de France au XVIIIe siècle, est de se danser sur deux fronts opposés, avec différentes figures. Au XIXe siècle, elles ont gagné nos campagnes où les danseurs, tout en assimilant les figures, les ont réarrangées en y mettant des pas qui proviennent probablement d’anciennes danses en rond.

Forme et structure de la danse

Position des danseurs
La danse s’exécute en ligne sur deux fronts, en double front vis-à-vis, à deux mètres à peine de distance. Dans le couple, la cavalière se trouve à droite de son cavalier. La forme « quadrette » se trouve uniquement dans la partie « avant-quatre ».

Structure de la danse
Quatre parties de seize temps chacune.
- En avant-deux : seuls a1 et b1 par exemple démarrent, d’où le terme « en avant-deux »*
- Tournez-vous : a1 et b1 seulement
- Valsez (ou balancez) : a1 avec a2, b1 avec b2.
- Rencontrez : a1 avec a2, b1 avec b2
* (la fois suivante, a2 et b2 partiront à Ieur tour).

Temps 1
Le pied gauche pointe* en appui fictif devant le pied droit, dans l’alignement de celui-ci qui reste à plat en portant seul le poids du corps.
* Le pointé n’est pas écrasé mais simplement posé (il n’y a pas d’appui double).
Temps 2
Le pied droit se détend en saut, la jambe gauche restant fléchie devant. On retombe sur le même pied d’appui (gauche) et sensiblement au même endroit.
Temps 3 et 4
Trois appuis égaux gauche-droite gauche, avec déplacement latéral vers la gauche. (un léger déplacement à chaque pas). Ensuite le pied droit se trouve prêt à pointer à son tour (pied gauche en appui au sol) pour l’opération inverse.

Figures

Première partie : « en avant-deux ! »
Quatre mesures de 4 temps, exécutées sur le pas de base.

Mesure 1
Pointe
a1 et b2 pointent devant (cf. pas de base)
A : ligne d’attente
D : ligne de danse

Saute
Déplacement de biais vers la ligne de danse. Ce léger déplacement sur le sauté a lieu pour que les danseurs évoluent à l’intérieur du double front, parallèlement à ceux qui ne dansent pas.

Trois p’tits pas
Déplacement latéral vers la gauche pour les garçons : GDG. Ce déplacement s’exécute sur les trois appuis. (NB : le déplacement de biais du sauté - temps 2 - continue au temps 3 pour rejoindre la ligne de danse).

Mesure 2
Pointe devant (pas de base) du pied droit. Sauté sur place. Déplacement latéral vers la droite sur « 3 p’tits pas ».

Mesure 3
Idem vers la gauche.

Mesure 4
Idem vers la droite.

* N.B.: il est important de regarder son vis-à-vis dans les yeux durant ces quatre mesures.

Deuxième partie : « tournez-vous ! » (pas des garçons)

Quatre mesures de 4 temps exécutées sur le pas de base.

Mesure 1 : « Tournez-vous »
Croisé : Le pied gauche pointe non plus devant mais en croisant franchement le pied droit sur le côté. Seules les épaules accompagnent franchement ce mouvement de rotation vers la droite, entamant déjà le « tournez » d’un quart de tour. Le pied droit reste sur place. Le regard reste
fixé dans les yeux du vis-à-vis.
Sauté : Saut vertical sur le pied d’appui en faisant pivoter tout le corps dans le sens solaire de 3/4 de tour (sens inverse pour les filles). La retombée s’effectue sur te même pied. Le tour complet est terminé à la retombée. Les danseurs rattrapent le plus vite possible le regard de leur vis-à-vis, ce qui aide à l’équilibre.
Trois p’tits pas : Déplacement vers la gauche (cf pas de base).

Mesure 2 : Idem mesure 2 de l’avant-deux.

Mesure 3 : Idem mesure 3 de l’avant-deux.

Mesure 4 : Idem mesure 4 de l’avant-deux.
À la fin de la quatrième mesure, le danseur se retrouve près de sa cavalière (la danseuse près de son cavalier), prêt à commencer le « valsez ».
Dans les deux cas, c’est le cavalier qui va chercher sa cavalière.
1er cas : Le garçon dansait. Il se retourne vers sa cavalière.
2e cas : La fille dansait : Retour de la fille sur la ligne de départ. Le garçon se déplace sur le 1er temps du valsez.

N.B. : À l’instar de tous les avant-deux de travers, le tournez- vous n’est en fait qu’une fioriture sur le pas de base. Seuls les bons danseurs le faisaient. C’est sans doute un reste du « faites tourner la cavalière » qu’on retrouve dans l’avant-deux de la Meilleraye dit des Auvernés cité plus haut, où les vis-à-vis dansent en se tenant par la main.

Troisième partie : Valsez !

Pas de pivot sur 16 temps. Identique pour G et F. Les
danseurs se font face, en léger décalage vers la gauche.
G : main droite à la taille de F, main gauche sur sa hanche.
F : mains sur les épaules de G.
* Cavalier et cavalière se regardent dans les yeux.

Position des pieds : intérieur du pied droit contre intérieur du pied droit (figure 1). Il arrive qu’un léger décalage intervienne en cours d’exécution, L’important est que l’un des danseurs ne tourne pas autour de l’autre. Les pieds droits à l‘extérieur sont aussi admis, à condition que le point de pivot soit respecté (figure 2).

Décomposition . Le pied gauche se met en appui sur la pointe, genou plié, derrière le pied droit. Le mollet gauche, en extension, pousse le corps vers le haut. Une fois en l’air, le pied droit pivote d’un quart de tour, sens solaire. La retombée se fait sur le temps fort de la musique. Puis le pied gauche prend un nouvel appui derrière le pied droit. Quatre tours sont à exécuter ainsi sur les 16 temps (4 appuis pied droit par tour). À la fin de chacune des mesures de 4 temps, le couple doit avoir exécuté un tour et se trouver face à l’autre couple, à sa place de départ. Pour s’en assurer, le cavalier jette un rapide coup d’oeil à sa cavalière en face à la fin de chaque tour.

Quatrième partie : Rencontrez !

Quatre mesures de quatre temps. La fille lâche son bras droit et les couples se font face. Départ du pied extérieur : G pour les garçons, D pour les
filles.

Style

Très important ! Toute la danse s’exécute sur les demipointes, il n’y a pas d’appui sur les talons. Les danseurs sont en flexion constante des genoux. L’orientation du regard est primordiale et donne vie à la danse (cf. indications). C’est l’esprit de l’avant-deux que le garçon en dansant « fasse la cour » à son vis-à-vis, pour finalement revenir valser avec sa cavalière de droite. Contrairement au démarrage de l’avant-deux à la mode de Ligné-Les Touches, le temps 1 se fait d’emblée sans jeu de la jambe libre (car il n’y a pas l’effet anacrouse), il y a correspondance avec l’attaque franche de l’accompagnement musical. Les appuis latéraux GDG – DGD s’effectuent de façon très détachée et visible, sensiblement différents de ceux de l’avant-deux de Ligné-Les Touches qui eux sont très près du sol. Il en résulte une allure en style plus vive et apparemment plus verticale.

Accompagnement musical

Anciennement les airs étaient soit joués au violon, soit chantés ou le plus souvent « gavottés » au son de la goule. Le gavottage est une technique vocale alliant dans l’air l’annonce des figures, quelques paroles et des onomatopées précises. Chaque « gavotteur » avait sa façon
propre. L’accordéon diatonique s’imposa après la Première Guerre mondiale. Le musicien se tient en dehors de la danse le plus souvent (au bout de la ligne) et il est le véritable animateur. Il faut s’entendre pour que tous les garçons du même côté et toutes les filles de l’autre partent ensemble. C’est le musicien qui désigne ceux qui partent la première fois. Par exemple : « pour les garçons du côté au marié, en avant-deux ! ». Deux temps de commande : « En avant deux ! » précèdent le départ de la danse. Ces deux temps permettent au couple qui démarre de savoir quand partir. Ils indiquent aussi le tempo de la danse. Cette commande peut se faire avec les basses de l’accordéon, (en double corde sur un violon), et vocalement, ou mieux : les deux ensemble. Il faut aussi prolonger la dernière phrase musicale (fin du Rencontrez) d’un temps supplémentaire en maintenant la note. Exemple pour l’accordéon : Maintenir main droite et main gauche sur la note finale en marquant ce temps avec le soufflet (cf. tablature). Entre ce temps final de remise en place des danseurs et les deux temps de la commande pouvait s’écouler le
temps désiré par le musicien. Les musiciens préféraient avoir les meilleurs danseurs auprès d’eux. L’air le mieux adapté à cette danse est celui que jouait Eugène Gasnier, à quatre parties. C’était l’air le plus prisé. Les 4 parties A B C D de musique correspondent bien aux 4 parties de la danse. Ces quatre parties musicales ne sont pas interchangeables. Il existe d’autres airs à deux parties qu’il faut jouer de la manière suivante : A B A B. Le tempo évolutif de cette danse est de 120 à 130 noires par minute.

CD de référence

• 1 - Jeanne Fillon, née Gasnier , chants
- Tu n’auras pas ma fille, maçon – chant
- Dansez point tant les filles – chant

• 2 – Eugène Gasnier , chants
- Remue donc ton p’tit cotillon – chant
- Comme te voilà touillé, guené – chant

• 3 – Eugène Gasnier , Comme te voilà touillé, guéné – accordéon

• 4 - Eugène Gasnier , Air à quatre parties – accordéon

• 5 – Joseph Martin , En avant-deux les crapauds – chant

• 6 – Jean Barbelivien , Air joué lentement – accordéon

• 7 – Jean Barbelivien , Paroles mnémotechniques - chant

• 8 – Jean Barbelivien , Air joué à vitesse normale – accordéon

• 9 – Jean Barbelivien , Air à quatre parties en fa, 7 fois – accordéon

• 10 – Jean Barbelivien , Air à quatre parties en do – accordéon

Ressources

CHOLEAU Jean : Costumes et chants populaires de Haute- Bretagne, édition Unvaniez Arvor, Vitré, 1953
DASTUM 44 : Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique, éditions Dastum 44, Nantes, 2012
TRICOIRE Jean : Les pays d’avant-deux des pays Nantais et des environs [non publié]
WOLFF Jocelyn (dir.) : Le patrimoine des communes de la Loire-Atlantique, éditions Flohic, Paris, 1999
Fiche danse HERITAJ KENDALC’H « avant-deux de travers à la mode de Ligné-Les Touches »
Fiche terroir HERITAJ KENLEUR « Entre Erdre et Loire »